Jean-Loup Guillaume

Jean-Loup Guillaume est professeur à La Rochelle Université depuis octobre 2014 au laboratoire L3i (Laboratoire Informatique, Image et Interaction), au sein de l’équipe « Modèles et connaissances ».

Jean-Loup Guillaume est professeur au laboratoire L3i (Laboratoire Informatique, Image et Interaction), au sein de l’équipe « Modèles et connaissances ». En 2007, il a codéveloppé la méthode de Louvain qui est aujourd’hui une référence dans la communauté scientifique avec plus de 20 000 citations au compteur depuis août 2023.

Quel est votre domaine de recherche ?

« Tout le monde ou presque a déjà utilisé un réseau social du type Facebook, LinkedIn, X/Twitter ou Instagram où l’on peut être amis ou suivre les actualités d’autres utilisateurs ou utilisatrices. On peut également s’intéresser à nos neurones et leurs interconnexions ou à un site de vente en ligne où les clientes et clients peuvent acheter, aimer, émettre des commentaires sur des produits. Tous ces contextes, et bien d’autres, peuvent être modélisés par des graphes (ou réseaux) reliant des entités qui se connaissent, sont connectées ou sont similaires. Bien que l’étude des réseaux soit très ancienne, deux travaux fondateurs de la fin des années 90 ont montré que ces réseaux se ressemblent et posent des questions similaires dans de nombreuses disciplines.

Mon domaine de recherche a pour objectif de comprendre ces réseaux, de les décrire, de prédire leur évolution future ou comment l’information ou un virus se propage dessus, etc. En tant qu’informaticien, j’essaye surtout de proposer des méthodes (ou algorithmes) efficaces pour arriver à ces objectifs mais pas uniquement. Ce domaine est interdisciplinaire par nature et je travaille donc autant sur des méthodes génériques que sur des applications dans divers contextes dans et en dehors de l’informatique (médecine, histoire, géographie, sociologie, marketing, etc.). »

Pouvez-vous nous en dire plus sur la méthode dite de Louvain : d’où vient-elle ? à quoi sert-elle ?

 » La méthode a été développée dans le cadre du stage de fin de master en mathématiques appliquées d’Étienne Lefebvre (actuellement Senior Project Manager chez EQUANS Offshore) en collaboration avec 3 chercheurs qui travaillaient tous à l’Université Catholique de Louvain à l’époque, d’où le nom qui est resté : Vincent Blondel (professeur de mathématiques et actuel recteur de l’UCLouvain), Renaud Lambiotte (post-doctorant à l’époque et actuellement professeur au Mathematical Institute à Oxford) et moi-même (post-doctorant à l’époque et actuellement professeur au L3i à La Rochelle Université).

Pour la petite histoire, le sujet de master proposé à Étienne Lefebvre n’était pas de développer une méthode de détection de communautés mais de créer des réseaux synthétiques avec des communautés. C’est par hasard, en inversant le processus sur lequel on travaillait, qu’il a découvert la méthode et que nous avons perçu son intérêt. Lui voulait juste retourner à ses réseaux synthétiques. Mais, pour citer Pasteur, « le hasard ne favorise que l’esprit préparé ».

La méthode de Louvain permet de découper ces graphes en identifiant des groupes d’entités (utilisateurs, utilisatrices, neurones, clientes et clients) fortement connectées. Cela sert à comprendre la structure du réseau, faire de la recommandation d’amis ou de contacts sur Facebook/LinkedIn/Instagram, d’achats sur un site de vente en ligne et à de nombreuses autres applications. »

Comment expliquer le succès de cette méthode ?

« Globalement, les réseaux sont partout et servent à modéliser de très nombreuses données du monde réel : réseaux sociaux, de transports, d’échanges, de collaboration, etc. Dans tous ces contextes, on a besoin de détecter des groupes (ou communautés). La méthode de Louvain permet de résoudre ce problème difficile (il est dit NP-difficile, pour les experts) de manière très rapide et avec des résultats d’excellente qualité. Avant Louvain, on était limité à l’étude de réseaux possédant quelques centaines de milliers d’entités et avec des résultats de qualité moyenne ; après, on pouvait traiter des centaines de millions d’entités sans perte de qualité. Moins de 8 minutes de calcul étaient nécessaires à l’époque pour un réseau avec un milliard de connexions, quelques secondes aujourd’hui avec des méthodes massivement distribuées. Actuellement, toutes les disciplines utilisent Louvain et la méthode est disponible dans de nombreux logiciels donc elle est très simple à utiliser.

Pour résumer, la méthode est simple à comprendre, à utiliser, voire à programmer, très efficace en temps de calcul et en qualité des résultats, et est utile dans de nombreuses disciplines. Est-ce que cela suffit à expliquer le succès de la méthode ? Probablement pas mais je n’ai aucun autre argument. Quand j’enseigne la scientométrie aux étudiants, j’essaie de leur faire comprendre qu’il est très difficile de prévoir le succès d’un article. Quelques articles qui ont eu un impact majeur sur la société sont finalement assez peu cités : la découverte du trou dans la couche d’ozone par exemple n’a pas 5000 citations. Et inversement, des découvertes dont personne n’a connaissance ont des dizaines de milliers de citations.

La méthode de Louvain est de plus en plus citée malgré son grand âge : plus de 7 articles citent l’article original quotidiennement en 2023, week-end et jours fériés inclus et ce nombre augmente régulièrement depuis 2008. Nous écrivons actuellement un article rétrospectif sur la méthode de Louvain et je suis retombé sur un mail de 2013 dans lequel nous étions très impressionnés d’avoir atteint les 1000 citations et un autre de 2019 pour fêter les 10000 citations… »

Quelles sont vos recherches et projets en cours ?

« Aujourd’hui, je joue toujours avec des réseaux. Voici quelques exemples de projets en cours :

  • La robustesse des réseaux : comment détruire un réseau ou, au contraire, comment le protéger contre les attaques.

On peut, par exemple, chercher à savoir quelles personnes supprimer pour détruire un réseau. Avant d’appeler la police, songez que vacciner une personne peut la faire disparaitre d’un réseau de transmission de virus et l’objectif est alors de savoir qui vacciner en priorité. En l’occurrence, le projet sur lequel je travaille consiste à mesurer au mieux les trajectoires de personnes dans une ville et donc où placer des capteurs sur le réseau routier pour mesurer leurs déplacements.

  • Le marketing à La Rochelle, comprendre les mécanismes d’influence sur les réseaux sociaux : quelles sont les stratégies mises en place par les influenceurs, comment sont structurés leurs réseaux sociaux, etc.
  • L’efficacité énergétique pour le déploiement d’applications distribuées.

Avec une doctorante, L’objectif est de savoir où placer les différents composants d’un logiciel pour que les demandes des utilisateurs reçoivent une réponse rapide (vous ne voulez pas attendre 3 minutes avant de voir le dernier épisode de votre série Netflix) et avec un impact énergétique faible. »